La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli: la représentation d’un mythe

Élysa Lachapelle

La Naissance de Vénus, peinte vers 1485 par l’artiste florentin Sandro Botticelli, est une interprétation du mythe entourant le personnage d’Aphrodite, dans la mythologie grecque, devenue Vénus chez les Romains. Le présent essai se penche sur l’interprétation qu’a faite le peintre du mythe, à savoir s’il représente le personnage de Vénus comme étant positif, la déesse de la sexualité matrimoniale à des fins de procréation, ou de façon négative, comme la déesse du plaisir sexuel débridéi. Il y a fort à parier que Botticelli a représenté Vénus de façon positive due aux valeurs humanistes dans lesquelles son œuvre a été conçue.

Mythes concernant Aphrodite-Vénus

Les principaux mythes grecs concernant la naissance d’Aphrodite sont ceux d’Hésiode et d’Homère. Hésiode raconte la naissance de la déesse dans La Théogonieii. Selon lui, Aphrodite est née du sexe d’Ouranos tombé dans l’océan, après avoir été tranché par Cronos. Il la décrit, à sa naissance, « pudique et belle » et dit qu’elle a été escortée jusqu’à l’île de Chypre par le Désir et l’Amour.

Tel Hésiode, Homère, dans son deuxième Hymne homérique à Aphroditeiii, qualifie la déesse née de la mer de «belle et pudique». Escortée, cette fois, non par l’Amour et le Désir, mais par un zéphyr, un vent, elle est accueillie par les Heures, déesses des saisons.

Dans son De rerum naturaiv (De la nature), publié au 1er siècle av. J.-C., Lucrèce, philosophe et poète latin, associe Vénus au plaisir épicurien et à la génération. Chez lui, Vénus est toujours la déesse du désir associée à la procréation, mais elle devient la figure allégorique de l’épicurisme.

Analyse néo-platonicienne de la Naissance de Vénus

Selon Aby Warburgv, La Naissance de Vénus de Botticelli aurait été directement inspirée par la Giostra d’Ange Politien, elle-même fortement influencée par le deuxième Hymne homérique à Aphroditevi. Ainsi, on y retrouve le personnage de Zéphyr dont le souffle pousse la déesse vers le rivage où les Heures l’accueillent. Ce qui distingue le tableau de Botticelli des deux récits littéraires repose dans la présence d’un personnage féminin soutenu par Zéphyr et le fait qu’il n’y a qu’une seule Heure qui attend Vénus sur la terre ferme. De par ses vêtements fleuris, il est à supposer qu’il s’agit de l’Heure du printemps.

Nicole Lévis-Godechot analyse La Naissance de Vénus de Botticelli à la lumière du néo-platonisme humanistevii. Elle défend qu’à l’instar de ce que Platon affirme dans Le Banquet, les humanistes associent le beau à l’accession au bien suprême et à la vérité absolue. Lévis-Godechot stipule, comme Platon, que les humanistes distinguaient deux Vénus, une terrestre, associée à la beauté corporelle, et une céleste, associée aux choses de l’esprit. Ainsi, « […] La Naissance de Vénus nous permet d’admirer la Vénus céleste qui sort de l’onde, toute pure et virginaleviii ». Une fois qu’elle a touché terre, vêtue du manteau que lui tend l’Heure, elle devient la Vénus terrestre.

Toujours selon Lévis-Godechot, l’élément clé dans l’analyse de La Naissance de Vénus, serait le personnage féminin qui souffle avec Zéphyr sur la déesse. Dans son Phèdreix, Platon avance que l’âme a des ailes et s’élève, jusqu’à ce qu’elle les perde et prenne un corps terrestre, qui devient alors un être vivant mortel. De plus, il affirme que l’âme doit avoir vu la vérité avant de s’incarner. Lévis-Godechot fait le lien entre l’œuvre de Botticelli et celle de Platon en suggérant que le peintre a choisi de représenter le moment précédent l’incarnation de l’âme, durant lequel elle contemple la beauté divine de Vénus. L’âme, sur le point de perdre ses ailes, se cramponne à Zéphyr et se dirige vers la terre ferme, en même temps que la déesse. À son arrivée, «Vénus revêtira le manteau qui cachera sa divine splendeur pour devenir la Vénus terrestre, appelée souvent par les auteurs Vénus Humanitas, celle qui veille sur les amours humainesx».

La Naissance de Vénus comme peinture nuptiale

Tout en reconnaissant l’influence néo-platonicienne de La Naissance de Vénus de Botticelli, Jane C. Long, dans « Botticelli’s Birth of Venus as Wedding Paintingxi », considère qu’il s’agit davantage d’une référence à la tradition de l’épithalamexii. Ces poèmes faisaient référence à Vénus en tant que patronne du mariage, donc la Vénus terrestre qui rend le corps fertile et le stimule, dans le but d’avoir un mariage heureux et fructueux menant à la procréation. Long explique que si certains de ces poèmes pouvaient avoir un ton parfois érotique, dans leur évocation de Vénus, c’était pour louer la femme afin d’éveiller chez l’homme un désir sexuel dans le but de la féconder.

Selon une hypothèse partagée, La Naissance de Vénus aurait été commandée à Botticelli par Laurent de Médicis pour l’offrir en cadeau de mariage. Long explique que la Vénus de Botticelli est représentée de façon assez suggestive, dans une pause accentuant ses courbes, ses mains qui doivent cacher ses seins et son sexe y attirent davantage l’attention qu’elles ne les cachentxiii. Elle ajoute que le tableau de Botticelli représenterait plutôt l’arrivée de Vénus que sa naissance, faisant référence à l’arrivée de la mariée dans le lit nuptial.

S’inscrivant dans l’humanisme de son temps, La Naissance de Vénus de Botticelli est une image positive de Vénus, la représentant comme la déesse du mariage et étant une allégorie de la beauté absolue qui est celle de l’âme plutôt que du corps. Enfin, si le personnage d’Aphrodite est resté sensiblement le même à Rome et durant la Renaissance, c’est que la culture de ces époques postérieures à la Grèce antique lui a beaucoup emprunté, allant de la mythologie, aux valeurs et aux idéaux qu’elle véhiculait.

Sandro Botticelli«La Naissance de Vénus», Sandro Botticelli, Peinture sur toile, vers 1485, 172,5 x 278,5 cm, Galerie des Offices, Florence.

i Il s’agit des deux éléments dont était tutélaire Aphrodite-Vénus dans l’Antiquité gréco-romaine.

ii Hésiode, La Théogonie. Les Travaux et les Jours, Paris, Le livre de poche, 1999, 350 pages.

iii Homère, « À Aphroditè », Hymnes homériques, Traduction de Leconte de Lisle, Paris, A. Lemerre, 1893, p. 420-421.

iv Lucrèce, De rerum naturaDe la nature, Traduction de José Kany-Turpin, Paris, Flammarion, 1993, 552 pages.

v Aby Warburg, La Naissance de Vénus et le Printemps de Sandro Botticelli : étude des représentations de l’Antiquité dans la première Renaissance italienne, traduit de l’allemand par Laure Cahen-Maurel, Paris, Allia, 2007, 72 p.

vi Homère, Op. cit.

vii Nicole Lévis-Godechot, « La Primavera et La Naissance de Vénus de Botticelli ou le cheminement de l’âme selon Platon », Gazette des Beaux-Arts, Vol. ser 6, no v121 (avril 1993), p.167-180.

viii Lévis-Godechot, op.cit., p.173.

ix Platon, Phèdre, Traduction de P. Vicaire, Paris, Les Belles Lettres, 1998, 239 pages.

x Lévis-Godechot, op.cit., p. 178.

xi Jane C., LONG, « Botticelli’s Birth of Venus as Wedding Painting », Aurora (Woodcliff Lake, N.J.), Vol. 9 (2008), p. 1-27.

xii Un épithalame est un poème nuptial associé à la consommation du mariage dans l’Antiquité gréco-romaine.

xiii « Venus […] poses in a way that accentuates her curves […] She gestures almost delicately, laying her hands lightly above her breast and across her genitals in a way that attracts the viewer’s attention rather than hides from it ». (Long, Op. cit,, p.10.)